Dulcinée Aimée Evangelissi - Let me play with you man.

Tout commence là où se termine le reste.
J’ai froid, comme lorsque pour la première fois, le nourrissons découvre la réalité au dehors du ventre de sa stupide mère. Ouvrant péniblement mes yeux rougis et engourdis, je ne sens plus mon corps malade. Organisme défoncé par les drogues et les excès. J'en ai fait ma modeste prison, et un parfait piège à qui viendrait s'y confondre. Ma tête d’enfant fragile a certainement dû claquer le sol, car je devine un gout de sang dans la bouche désireuse de bruits. Pousser un hurlement soudain, faire s’exalter le crie d’une douleur inexistante. Je ne suis plus rien. Inspirant l’air lourd et humide de l’endroit déjà apprécié, l’ambiance qui y règne se révèle enfin à ma psyché détraquée. Je ne veux pas le mal de mes semblables. Je veux voir, et ce, de la manière la plus limpide possible, cette démence dont-ils sont capables. Chiens enragés, poupées désespérées. Il y a tellement de types divers et variés, qu’au fond, il ne serait pas bon de vous les dévoiler. Moi, c’est Dulcinée. J’ai vingt et un ans. Je suis une artiste, légèrement excentrique. Mais après tout, le talent, ça se cultive. On m’a diagnostiqué une sociopathie à tendance paranoïaque dès mon plus jeune âge. Il m’arrive d’entendre des voies, et puis d’entrapercevoir des regards. D’après les médecins, ma cervelle est bien trop remplie, et mes neurones vont beaucoup trop vite. Je les emmerde. Je vois, d'une perception bien plus accrue de ce que votre débile esprit pourrait un jour imaginer. N’en soyez cependant pas troublé, lisez aux travers mes iris, et découvrez en ma compagnie ce monde inconnu et délicieux. Il y règne la peur, et les angoisses. Une symphonie si douce à mes oreilles, semblant vous effrayer. Je ne m'en vexe pas, car moi même il m'arrive de la briser, par désespoir ou par regrets. Je frappe, je mords, j’invite et puis détruis. Est-ce donc là mon crime ?

La petite blonde à la peau de porcelaine, est étendue sur le sol, comme un linge négligemment jeté dans la poussière. Gigotant imperceptiblement, tressautant sous l’influence d'une souffrance encore incomprise. Elle est comateuse, ses cheveux ébouriffés balayent sa figure d’une beauté étrange. Cette gamine est belle comme un ange, un charme presque douloureux à qui l’observe. Son air, même dans cet état, est d’une mélancolie inconcevable et d'une innocence détestable. Une sorte d' animal en cage. On ne peut définir avec exactitude ses intentions, ou ne serait-ce son caractère. Instable, naïve. Une ingénue pervertie, un monstre inconscient. Le créateur de cette dangereuse chimère s’amuse des âmes humaines. Elle est l’objet qui les fera plonger, à peine auront t‘elles eu l‘indélicatesse de croire pouvoir la dominer. L’ombre peu à peu se dissipe, la demoiselle émerge de son sommeil forcé. Tentant de se relever, elle s’appuie sur le mur à son côté. Ses mains sont malmenées par la paroi râpeuse du lieu. Gémissant, elle essaye, en vain, de se situer. Les longues jambes tremblent sous le poids de l’incertitude. Un pas devant l’autre. Il apparait que la hauteur chancèle face à l’oppression qui règne. Étrangement, elle sourit. La belle nymphe est rageusement amusée, elle sait déjà que la valse ensanglantée va pouvoir commencer. Trébuchant sur un instrument. Elle laisse ses genoux heurter le sol dans un fracas à vous glacer le sang. Ses doigts agrippent l’instrument et son regard vagabond se met à scintiller de la plus infâme lueur. L’artiste va pouvoir débuter son œuvre. La morale n’est pas de rigueur lorsque le génie prend toute la place. L’objet inconnu n’est pas immédiatement identifié. Ne lui en déplaise, c’est pour ainsi dire le destin qui amènera le projet à son terme. Ce monstre subtilement fascinant n’est pas en prise à l’angoisse ou l’appréhension. Tout ce qui paraît accrocher son attention fiévreuse est dans un monde parallèle à celui-ci. Le sien. Celui où tout est possible, où la beauté n’aura jamais de limites. Soudain, ses deux perles grises se figent sur un compteur. Le temps a passé, l’horloge s’est follement ébrouée. Comment avait t-elle pu manquer ce détail ? Affichant une moue agacée, voilà qu’elle flanche en arrière et retombe de tout son long sur le carrelage froid. Tendant ses bras et se jouant de l’instant présent. Dulcinée entre dans une crise. Elle rit, elle éclate de rire et ne semble plus contenir sa démence, bien déterminée à la rendre la plus cinglée possible. De la dynamite, voilà ce qu’elle est. Quand deux bombes à retardement se font face, il n’est pas rare d’y découvrir un magique feu d’artifices plein de sang, de cries et de folies. Dommage, car aujourd’hui, c’est elle la cible. Tapant des pieds et hurlant de toutes ses forces, l’enfant sauvage va finir par se modérer. Ses mollets heurtent un nouveau jouet. Redressant son corps malingre, elle se tord et s’empare de sa découverte. Appuyant sur un bouton, voilà qu’une voix raisonne. Elle écoute, comme timidement amoureuse du clown propriétaire. Le discoure touchant à sa fin, la perverse gamine prend le lecteur et le colle contre son cœur, toute émoustillée. La mort ou la vie ? Pourquoi se poser ce genre de questions désagréablement futiles.

Je n’ai jamais filé droit comme les autres filles de mon âge. J’ai toujours éprouvé un irrépressible besoin de me démarquer. L’existence me semblant d’un ennuie mortel, il fallait que j’use de ma matière grise pour trouver activité à ma mesure. L’Art fut le meilleur moyen, car là bas, aucunes barrières ne se dressent pour quoique ce soit. Aucuns sens de l’étique, aucuns respects pour les mœurs. Une liberté démentielle s’offrait à moi. Le monde est laid, je désire le rendre superbe. Un esthétique spécial, à part. L’éternité côtoyant le monde de chaire. Ne serait-ce donc pas une prouesse des plus nobles ? J’en n’en doute nullement. Musicienne, peintre, sculpteur. Il faut toucher à tout pour parvenir à l’extase suprême. Chef d’orchestre pour les voies de mes vilaines victimes. Peintre à mes heures perdues, je découvre en l’hémoglobine une matière dont les biens faits sont à expérimenter. Nouveau Michel-Ange, je veux modeler les organismes des autres à mon image. Je veux les découper, les triturer, les arracher et les recoller. Un brin narcissique ? On ne peut me blâmer. Car vous-même m’enviez. Je suis une Aphrodite, déesse de la beauté et du sexe. Ou serait-ce de l'amour ? Mais qu'est-ce donc ce concept ? Encore un terme inventé pour se plier à de débiles convenances. Chaque partie de mon corps me fait fantasmer. C’est plus fort que la raison, ou la morale. Je suis la créature désirée, de mes propres rêves. Dans le manoir, je m’élève au rang de manipulatrice experte. Je suis la Reine qui lorgne de son regard assassin sa cour de bouffons et suivants. La psychologie humaine n’est pas un monceau d’énigmes mais bel et bien d’évidences proches de l’indécence. Alors autant s’en délecter. Pousser l’homme à ses plus bas instincts. L’obliger à se mutiler, détruire un couple en les forçant à s’entretuer. Un tableau digne des plus grands maîtres ! Même Vermeer serait jaloux des effets lumineux, des ombres et des couleurs qui sagement apparaissent sur la toile auparavant immaculée.

La chaste vierge mordille sa lèvre. Serait t’elle un mensonge parfait ? Une illusion espérée, mais bien éloignée de la cruelle vérité ? Prenant dans ses mains le pinceau que l’affreux clown lui avait confié, elle se met face à la minuterie qui ne cesse de décompter. Prête à presser le doigt ? Et si finalement tout explosait. Mauvaise idée. Pourquoi avait t’il eu l’odieux songe de lui en vouloir ? A elle ? Cette vénus sévèrement énamourée de sa sadique personne ? Exploser le chronomètre farfelu était une autre solution. Mais malheureusement, tout cela n’allait pas être suffisant. Se remettant à taper des pieds, sur place cette fois. Ses fragiles bras pendouillant sous le poids de l’arme en sa possession. Dulcinée est une exquise capricieuse. Une fille à papa qui jamais ne grandira. Tout lui est du, rien ne peut lui échapper. C’est une vipère, cachée sous la frimousse d’un mignon chaton. L’évidente victime devenant redoutable prédateur. Finalement affolée, il était bien rare de la voir dans cet état. Tournant son visage de gauche et droite puis esquissant une figure à vous faire fondre même le plus glacé de tous les cœurs. Et pourquoi son double n’était pas là, avec elle, comme à son habitude ? Ce brun qu’elle aime à observer. L’un des seuls, il en va s’en dire, qui ait le pouvoir de capter son intérêt. Plus ou moins malsain, c’est évident. Toutefois, l’exploit est de taille ! Il est son partenaire, et puis une aide précieuse. L'une de celles qui dans un jeu comme celui-ci, ne peut être tout de suite écartée. Fascination aussi puissante que l’attirance morbide qu’elle a pour ce cher Ticky, son alter égo est une obsession à ne pas annihiler. Quelle en est la raison ? Cet apollon est bien évidemment pourvu d'un physique à se damner. L’un de ceux qui la rassasie sans jamais la lasser. Le Roi de son royaume dégénéré. Un pion qui lors de la bataille finale, devra être sacrifié. Pas de place pour les sentiments, gagner est la seule véritable chose qui compte. Le temps continue sa marche funeste. Chuter de son piédestal n’est cependant pas à envisager. Bien trop orgueilleuse pour s’abaisser à ce manège, la belle harpie se voit submerger par un rire hystérique, bien connu aux oreilles des habitants curieux. Le cadran lui indique qu’il ne lui reste plus que cinq misérables minutes à vivre. Pas de quoi s’inquiéter, elle est déjà morte. Ce qui la tient éveillée, c’est cette profonde aliénation savamment désaxée.

- « Un, deux, trois, nous irons au… » Se mettant en mouvement, ses jambes s’aventurent dans la pièce vide. « Bois. Quatre, cinq, six… » La petite comptine que l’on apprend aux jeunes enfants s’envole dans le lieu. La mélodie raisonne avec malice, c’est que la douce enfant ne perd pas le nord. Il apparaît clair qu’elle s’amuse comme une petite folle. « Cueillir des cerises. Sept, huit… » Son pas se fait plus pressant, elle explore les surfaces planes, et espère trouver une sortie, une issue, tout et n’importe quoi. Puisse-t-elle s’enfuir de l’endroit de condamnés.

S’en est assez, la rage l’emporte sur le reste. Dulcinée hurle encore, et use d’un vocabulaire on ne peut plus distrayant. Les noms d’oiseaux et autres éclatent le silence pesant. Déclenchant l’arme entre ses griffes, le feu jailli du néant. La pièce s’illumine, la lumière apparaît à ses yeux embrumés. Les flammes lèchent les murs, les dalles, le plafond. L’ Enfer s’invite dans le paysage. Elle y règne en divine maîtresse. Si elle doit y laisser la vie, se sera elle qui décidera du comment et du quand. Debout, elle se lance le défis de tout faire exploser. Le lance-flamme brule le détonateur, la probable bombe. Le plastique fond, les circuits électriques lancent de derniers petits crachats. Mais rien ne se passe. Enfin une musique parvient aux oreilles de l’ingénue. Désharmonie complète, mais reconnaissable. C’est celle que l’on écoute aux mariages. Un large sourire apparaît sur sa bouille d'ange tueur. Elle lâche l’outil et frappe dans ses mains, l’air conquise. C’était exactement ce qu’elle espérait. Une ouverture, voilà que des stries argentées transpercent sa cage. Ses yeux d’un gris inqualifiable accrochent l’entrebâillement. Le paradis l'attend, il semble se plaindre de ne pas l'avoir eut en sa possession plus tôt.