Jeux de Clowns [Anouk & Ticky]

Des postes de contrôles, des micros, des interrupteurs. Une distraction inépuisable, dont il ne cachait pas sa fierté. Les participants n’avaient jamais autant pris l’allure de vulgaires pions. Des pions qui se déplaçait à sa seule volonté, et dont la vie ne dépendait que de sa volonté. Un si grand nombre de destins qui se reposait nerveusement entre ses mains. Il lui suffisait de serrer les poings, et tout était fini. Un claquement de doigts, un battement de cils. Chaque cœur qui battait à l’intérieur de son manoir lui appartenait, et sa seule volonté pouvait les exploser. Une sensation vraiment jouissif, que ce lieu lui permettait de pousser jusqu’à ses dernières limites. La sensation d’être un dieu, aux pouvoirs illimités. Un dangereux maître craint et respecté. Un joueur d’échec vicieux et machiavélique. Un clown au sommet de son art.

Un sourire collé au visage, ce dieu laissait parfois s’échapper un rire qui résonnait à travers la large pièce. Un rire glacé, typique des meilleurs partisans du mal. Preuve qu’il n’avait rien à leur envier. La pièce était plongée dans une parfaite obscurité, nécessaire au bien-être et au confort de son occupant. Sa main si maquillée qu’elle en perdait son humanité s’amusait parfois à déclencher quelques mécanismes parfois calculés, parfois hasardeux, grâce à la simple pression des boutons qui se présentaient devant lui. Il en contemplait les dégats à l’aide des postes de contrôles, et son sourire s’élargissait. Il ne s’en lassait jamais. Voir ces visages effrayés, sentir la peur qui les anime, l’incompréhension, le malaise. Des sentiment dont il se nourissait, et qu’il savait apprécier. Le jeu s’arrêtait cependant là. Il refusait de tuer à l’aide de ces simples boutons. Le meutre serait si vide en intêrét et en originalité. L’acte s’en retrouverait souillé et gâché par un comportement de simples amateurs. Le spectacle de la mort, ce moment où la flamme qui se cache en chacun de nous s’étouffe lentement, ne deviendrait qu’une vulgaire représentation. Ses mains ne serait pas suffisamment tâchées de sang, et le plaisir n'en’serait finalement que très décevant. La déception est sans doute le pire sentiment que l’on puisse ressentir après avoir éteint une flamme. Le spectacle de la mort se doit d’être grandiose et audacieux. Si ce n’est pas le cas, il ne mérite simplement pas d’exister.

L’heure n’était donc pas aux meurtres, et autres pratiques extrêmes. L’observation était de rigeur, ainsi que la création de ces sentiments ridicules mais cependant agréable. La peur, la colère, l’incompréhension. Le deséspoir. Il s’agissait là des nouvelles occupations du maître. Les crimes psychologiques. Ne pas donner le coup de grâce, et convaincre la victime de se tuer elle-même. La plonger dans un gouffre et l’empêcher d’en sortir. Lui ôter toute envie de vivre, toute volonté de respirer. Au-delà même de l’instinct de survie que certains font l’erreur de sous-estimer. Le désespoir absolu. L’art de tuer sans se salir les mains.

Occupé à observer le visage d’une participante se déformer en tentant de repousser les deux murs qui s’approchaient d’elle pour l’écraser, le clown fût soudain interrompu par l’entrée en scène d’un autre. Et pas n’importe laquelle, loin de là. Une compagne idéale pour semer le désordre dans ce si grand manoir. Le remplir de d’ondes délicieusement négatives. Faire naître une foule de sentiments troublants, intéressants et réconfortant à ses yeux. Mais si douloureux aux leurs. Et plus que tout, choisir la prochaine victime de ces nouvelles expériences. Peut-être même désigner une victime commune. Faire couler le sang entre père et fille. Un passe-temps qui promettait d’être très divertissants. Le père n’avait pas eût l’occasion de voir sa fille à l’œuvre depuis longtemps. Les enfants grandissent tellement vite, il n’était déjà plus sûr de ce qu’elle était devenue. Probablement la jeune femme qu’il avait vu en elle quand il l’a pris sous ses ailes. Son sourire s’élargit un peu plus, elle était devenue tellement belle. Il croisa son regard et pointa finalement son index vers les écrans de contrôles avant de prendre la parole, d’une voix éternellement mystérieuse, mais probablement chaleureuse aux yeux de sa fille.

- Envie de jouer ?

Anouk était d'humeur un peu maussade. Elle n'avait goût à rien, tout simplement parce qu'elle avait envie de partager une chasse ou une séance de torture avec quelqu'un. Pourquoi cette envie si soudaine alors qu'elle était d'ordinaire plutôt solitaire ? Elle l'ignorait, mais cette idée ne la quittait plus depuis qu'elle avait réalisé avec amertume que son fils, son disciple n'était pas venu la voir depuis plusieurs jours déjà. L'éviterait-il ?! Cette seule pensée la contrariait fortement et, du coup, elle ne parvenait plus à s'amuser pleinement avec ses victimes. Pire encore, elle en devenait presque douce, simplement parce qu'elle ne parvenait pas à se concentrer pleinement sur sa tâche. De quoi avoir honte d'elle. Elle, la fille de Ticky, celle que tous devraient redouter. Assise sur un lit grinçant d'une des multiples chambres du manoir, elle réfléchissait à la situation, les sourcils légèrement froncés. Il fallait qu'elle se reprenne et ce n'était sûrement pas en restant là, cigarette en main, plongée dans l'ennui et le silence qu'elle y parviendrait. Elle soupira donc et tira une dernière fois sur sa cigarette avant de l'écraser dans un cendrier qui gisait sur la table de chevet, puis sauta du lit. Elle sortit de la chambre pour commencer à errer dans les couloirs de cet endroit qu'elle connaissait comme sa poche. Au fond, elle avait bien un but. Très simple d'ailleurs : le cinquième étage, passage obligé de tous les clowns. Plus particulièrement même la salle où se trouvaient divers écrans d'observation et petits boutons de contrôle. De quoi peut-être l'amuser si elle ne rencontrait personne en chemin.

Le bout de chemin qu'elle fit ne fut ponctué que par quelques cris de participants, apparemment pris au piège dans certaines pièces du manoir. Rien de bien intéressant à ses yeux. Elle passa donc à côté de tout cela avant de décider de prendre un raccourci, décidée à ne plus avoir à entendre ce genre de choses sans pouvoir s'en réjouir. Décidément, si Ticky la voyait dans cet état, il trouverait sa fille des plus pitoyables... Elle arriva ainsi au cinquième étage mais n'y trouva pas pour autant de la compagnie. Avec une petite moue de déception, elle poussa la porte de la salle de contrôle, là où elle parvenait en général à toujours trouver une distraction. Cependant, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir qu'elle était occupée par quelqu'un. Non, pas par quelqu'un. Par un seul homme, celui qu'elle n'aurait jamais osé penser rencontrer ici. Ticky. Son père, son maître. Elle ne put retenir un sourire en entendant sa proposition et elle s'approcha sans un mot. Anouk n'était pas franchement le genre de fille à parler pour ne rien dire et son père était le mieux placé pour le savoir. Elle s'appuya contre la table qui se trouvait devant les divers écrans d'observation, le regard fixé sur Ticky. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle n'avait jamais vu son véritable visage et pourtant s'attachait encore et toujours à découvrir ses véritables traits masqués sur une épaisse couche de maquillage. Elle ne se lassait jamais de l'observer encore et toujours. Et cela faisait bien longtemps qu'elle ne l'avait pas fait, ce qui expliquait le fait qu'elle se perde longuement dans sa contemplation. Elle ne put cependant se retenir de souffler :

"Cela faisait longtemps, père..."

Ce murmure la sortit de son songe et elle détourna légèrement les yeux avant de se redresser puis de se tourner vers les écrans. Avec un sourire, elle posa les coudes sur la table, à demi affalée sur la table. Peu importait sa posture quand elle était si enjouée. Après tout, cela faisait un long moment qu'elle n'avait plus partagé ces petites tortures sur les candidats avec Ticky. Tout comme cela faisait longtemps qu'il ne l'avait plus vue à l'oeuvre. Trop longtemps. Pourtant, ils avaient créé ce jeu pour s'amuser ensemble, sortir de leur routine. Et voilà qu'ils étaient à deux doigts de retomber dans une autre. Ce serait fort dommage. Elle tourna donc la tête vers son père et demanda sur un air intrigué :

"Et qu'as-tu à me proposer ?"

Peut-être avait-il une idée derrière la tête ? Mieux valait qu'il en ait une en fait. Il aurait été déçu sinon de voir sa fille qui était bien moins performante quand quelque chose la tracassait. Et elle ne voulait certainement pas le décevoir...