Andréa - I\'m not very funny darling.

J’observe le plafond. Je le fixe sans jamais m’en lasser. Il est le seul ici à ne pas changer. Pas de tâches, pas de fissures, rien. Une perfection sublime, une simplicité violente, une clarté enivrante, une éternité rassurante. Je sais que je l’énerve, que je l’agace à n’en plus savoir quoi faire. C’est ma mère. Mon aimée, et mon bourreau. Elle m’a trouvé, et je m’y suis accroché. Je suis son ombre, son martyr et puis son chef d’œuvre. Le lit est grand, trop grand pour un seul être. Mon corps malade s’y délaisse, s’y perd. Alors elle m’y rejoint. Mes bras pendent de chaque côté de l’ouvrage, ma poitrine est chaude. Etrangement, à l’intérieur, il fait terriblement froid. D’où je suis, je pourrais la regarder. Mais son visage n’a plus de secrets pour mon esprit aliéné. Mes yeux clairs s’échappent, la transpercent. Je la laisse s’exalter. Je la laisse me dominer. Je ne suis pas âme à me confronter. Elle est si belle, et à la fois tellement laide. Moi, je suis mort et puis en vie. Mon corps bouge encore, ce doit être une preuve de ma lente agonie. Je suis son jouet, je la satisfais, sans plus me questionner. C'est mon unique rôle sur terre, à ce qu’il paraît. Crie, hurle ma belle. Ce son exacerbe ma haine et ma troublante fascination de l’instant. Je ne sais si c’est de la souffrance, ou juste le plaisir incandescent. Finalement, sans comprendre pourquoi, ni même comment, un sourire s’immisce sur ma figure d’enfant pervers. Mes entrailles se crispent. Douloureuses, voilà qu’elles me ramènent à la réalité présente. Ô comme je les détestent. Elles devraient m’être arrachées. Mordant ma lèvre inférieure à l’en faire saigner, je devine que mon cœur risque de bientôt exploser. Aime moi, aime moi chérie, car tu n’imagines pas à quel point je te hais. Mes mains se serrent, mon pou s’accélère. Comment en suis-je arrivé là ? Mes neurones ne sont plus capables de se connecter, s’en est finis de mon bon sens déjà lentement dilapidé.

2 heures plus tôt.
Un jeune homme aux traits d’enfants, à la peau trop blanche, au regard de glace et cependant à la beauté immense, entre dans la pièce du manoir. C’est une chambre, de toute évidence. On ignore souvent l’enfer dans lequel on plonge lorsque le jeu commence. Andréa, s’appelle t’il. Un gamin paumé, inconscient et surtout suicidaire. A force de vouloir mourir, on en arrive à pire confrontation que la faucheuse. Cette dernière ne semblait pas souhaiter l’accueillir dans son royaume merdique. Alors Ticky a cédé au caprice de sa sage fille. Lui, c’était lui son caprice. Ce débile adolescent, son magnifique cadeau. Chaque porte que l’on pousse lui rappelle le dangereux passé auquel il s’est frotté. Tournant la tête de droite à gauche, il est souvent préférable d’être sur ses gardes. On ne sait jamais. Un hôpital, puis un autre. Des chambres qui s’accumulent, des visages qui se confondent. Le jeune impertinent ne souhaitait que reposer en paix. Le monde où on l’aura trop tôt propulsé ne lui était pas adapté. Spécimen comme tombé du ciel. Il ne comprend rien. Il ne veut plus rien savoir. Il ne veut que disparaître dans l’immense océan des âmes errantes. Un pas, un deuxième, un troisième. Le voilà au milieu de l’endroit. Un immense lit à sa droite, un sorte de commode à sa gauche. Laissant sa tête tomber sur le côté. Il fixe dans le miroir son reflet. Attiré par l’odieuse apparence que dieu lui a légué. C’est amusant de constater à quel point la mère nature est d’une jalousie sans bornes. Elle donne, elle crée, et finalement, elle préfère détruire ou abimer. Posant à plat ses mains aux doigts fins, il se penche, encore et encore. Est-ce bien lui ? N’est-ce pas une illusion ? Une chimérique vision pour tromper sa logique instable, voir inexistante ? Ses saphirs se baissent sur la chaire pourrissante de son être. Retournant sa paume, il remonte le long du membre, et se rappelle furtivement ce qui diaboliquement a laissé sa marque. Longues et droites, les lignes sont superbes. Sans hésitations, ça se voit. Du grand art. Pour ça, il est condamné. Il ira se joindre à Satan. Son ventre gronde. Il a fin d’âmes nouvelles.

Un bruit le fait stopper sa rêvasserie. La glace lui offre la plus splendide des vues. C’est elle, la vipère est entrée. La porte se ferme pour de bon cette fois. Comme elle le lui avait promis, la voilà toujours plus idéale. Ne lâchant pas la nouvelle arrivante, il lorgne ses courbes et imagine ses intentions. La torture n’est pas ce qu’elle préfère lui infliger. Une chance ? Pas si sûre. La démarche assurée, elle s’approche de sa perfection tant aimée. Déposant un baiser dans sa nuque, il apprécie le contact et aussitôt le répugne. Il se retire, il s’échappe d’entre ses griffes. Andréa file du côté du lit, et s’y assoit sans mot dire. L’ange cruel ne se vexe pas, elle n’en a que trop l’habitude. Son trophée n’est pas bavard. Elle ne peut lui en vouloir, car elle ne souhaite nullement le perdre en brisant ses chaines. Chaines imaginaires dont elle s’est studieusement appliquée à l’y enfermer. Elle lui parle, elle lui pose des questions insensés et sans intérêts. Le jeune homme ne dit toujours rien. Sa mâchoire est soudé par la colère et le désespoir funeste. Pour ne pas laisser vibrer sa virulence, le bel adonis passe avec attention sévère le bout des doigts sur les cicatrices de ses anciennes expériences. D’abord lames, ici, couteau, par là bas cigarette et enfin, acide. Sa frimousse affiche un vague sourire amusé. Distorsion aussitôt masqué quand la demoiselle lui fait face, jetant une mine d’incompréhension de circonstance. Il ne l’entend pas. Ce n’est pas la peine. Mais le ton qu’elle prend l’excède. L’insolent s’emballe. Il bondit et lui attrape avec fureur son bras, pour ensuite poser sa main froide sur sa bouche brulante. Lui faisant signe de se taire, elle n’a dorénavant plus le choix.

-« Ecoute le silence ma belle. Il tente de te dire quelque chose. »
Sa gorge se serre, jouant de la sorte avec la feu, ses ailes bientôt vont s’enflammer.
-« Pourquoi m’avoir cherché ? Pourquoi ne m’as-tu pas laissé finalement crever ? Oui, en fait, pas besoin de parler, je sais. Dis moi que tu m’aimes. Dis le moi juste encore, et toujours. Suis-je assez bien ? Suis-je assez beau ? »

Elle lui répond, comme à chaque fois. Parce qu’au fond, il ne demande que ça. Il se rassoit comme un enfant obéissant et la lâche, laissant tomber ses bras morts et fatigués. La fille du Ticky est ravie. Elle s’avance, elle s’incline et effleure ses lèvres. Ses pattes de chat effleurent son torse, caressent ses cheveux et finissent par prendre les siennes pour les poser sur ses reins. Il est son automate, et rend avec merveille ses péchés vénéneux.

Retour.
Le reste, j’avoue qu’il m’échappe encore. L’arrogante brunette a finis par me faire tressaillir. Un râle s’échappe d’entre mes lèvres. Elle me possède, je la détiens. Un jeu à deux pas si mal. Je l’adore. Non, je la hais. Il faut que je m’en détache. Il faut que je me lave. Je me sens sale, je suis maculé, infecte. Vite, disparaître. Anéantir toutes traces de l’acte achevé. Immédiatement, je la prend à la taille, et la fait basculer à mon côté. Je ne la regarde pas. J’ai honte. Soulevant mon être instable, je me hisse au bord de la falaise. Dos à elle, je prends mon visage entre mes mains, courbe l’échine. Je suis anéantie. J’ai cédé.